Sonnet à la Liberté
Ce n'est point que j'aime les enfants, dont les
yeux mornes ne voient rien si ce n'est leur misère
sans noblesse, dont les esprits ne connaissent
rien, n'ont souci de rien connaître, mais parce que
le grondement de tes Démocraties,
tes Règnes de la Terreur, les grandes Anarchies,
reflètent pareils à la mer mes passions les plus
fougueuses, et donnent à ma rage un frère, --Liberté !
Pour cela uniquement, tes cris discordants
enchantent mon âme jusqu'en ses profondeurs,
sans cela tous les rois pourraient, au moyen du
knout ensanglanté et des traitreuses mitraillades,
dépouiller les nations de leurs droits inviolables,
que je resterais sans m'émouvoir. Et pourtant--
et pourtant, ces Christs, qui meurent sur les barricades,
Dieu sait si je suis avec eux sur certains
points.
Oscar Wilde (1854-1900)